Wednesday, January 20, 2016

Réponse aux critiques d'Hendrik Vuye sur un article impliquant des membres de notre équipe

Ci-dessous, une réponse à un article publié dans 'La Libre Belgique' le samedi 16 Janvier 2016. Nous avons soumis ce texte à La Libre le lundi 18 mais n'avons pas encore reçu de réponse.
- Update: Le 29/1, La Libre publie un extrait de notre réponse



- Pour mémoire, rappel des propos de M. Vuye:

"La Libre: L'ULB & L'UCL viennent de publier une étude qui montre que la jeunesse flamande est moins séparatistes que les générations précédentes. Mauvaise nouvelle?

HV: Venant d'une université, l'inverse m'aurait vraiment étonné. Une recherche pareille c'est vraiment de la science-fiction. Vous pouvez influencer les résultats par les questions que vous posez. J'ai été trop longtemps actif à l'université pour ne pas connaître tous les trucs que l'on peut utiliser en sciences humaines.Quelle est la question? Comment elle a été formulée? Si on demandait aux universités de déterminer le prochain score de la N-VA aux élections, certains nous mettraient à 3%, en-dessous du seuil électoral. "

Notre réponse

Dans l'édition des 16-17 janvier, répondant à une question de La Libre Belgique sur l'étude interuniversitaire UCL-ULB montrant que la jeunesse flamande est moins séparatiste que les générations précédentes, Hendrik Vuye, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Namur et député, affirme : "une recherche pareille, c'est vraiment de la science-fiction". Notre collègue et les lecteurs de La Libre Belgique méritent quelques informations sur le processus qui préside à la publication d'une étude comme celle qui est ainsi mise en cause.

L'étude est parue dans le volume 2015 du European Journal of Social Psychology (EJSP), le plus important périodique scientifique de psychologie sociale en Europe. Parce que les sciences humaines en général et les sciences psychologiques en particulier sont régulièrement la cible de critiques, les modalités de publication dans les périodiques scientifiques de psychologie sont devenues particulièrement exigeantes. Un article soumis est pris en charge par un rédacteur qui s'entoure de l'avis de plusieurs experts internationaux de l'objet. Chacun d'eux rédige un protocole critique de plusieurs pages, à la suite de quoi le rédacteur prend une décision : rejet ou révision. Dans un journal du niveau d'EJSP, la probabilité du rejet est de 70 à 90%. Dans le cas favorable, les auteurs sont invités à revoir leur article et à traiter toutes les remarques. Des échanges s'ensuivent qui peuvent se prolonger pendant plusieurs mois, et déboucher néanmoins sur une décision de rejet. Si les remarques des experts sont rencontrées, l'article peut être publié. C'est le sort qu'a connu l'étude incriminée par notre collègue. Lui-même, et chaque lecteur, pourront consulter cet article au lien http://bit.ly/1Wn3Hf2, et se faire une meilleure idée du travail qu'il recèle.

L'étude, menée par des spécialistes de la mémoire collective—les souvenirs que les membres d'un peuple ont en commun—part de l'hypothèse que la mémoire du passé douloureux de la Flandre est en déclin dans la jeune génération car cette mémoire ne correspond plus à leur expérience courante d'une Flandre plus prospère que la Wallonie. Si l'hypothèse se vérifie, on s'attend à ce que le séparatisme se réduise comparativement dans la jeune génération puisque ce séparatisme s'appuie notamment sur la mémoire collective douloureuse. Les données de l'étude publiée dans EJSP ont confirmé l'hypothèse d'un changement dans la mémoire collective de la jeune génération. Elles ont en outre soutenu l'hypothèse d'un changement générationnel pour le séparatisme, et ce pour toutes les nombreuses mesures effectuées. Enfin, les données ont montré que ce second effet résultait, en partie, d'une évolution générationnelle de la mémoire collective des répondants. 

L’étude publiée dans EJSP comportait bon nombre de mesures liées aux attitudes séparatistes et notamment, des mesures d’identification à la Belgique ou à la communauté linguistique, des mesures d’attitudes envers différentes solutions politiques quant à l’avenir du pays, ou envers les différentes actions politiques possibles dans le cadre du conflit communautaire belge. Toutes ces mesures ont donné des résultats convergents. D’autre part, les résultats enregistrés sont en accord avec ceux d’autres études menées par d'autres équipes avec d’autres méthodologies, et ce dans les deux communautés du pays. En 2011, une étude du Centrum voor Politicologie de la KULeuven conduite sur 3000 jeunes belges a montré que la perspective d'une scission du pays était envisagée d'une manière également peu fréquente par les jeunes francophones et néerlandophones (respectivement 8% et 8,8%). En septembre 2015, dans un sondage IPSOS mené sur un échantillon représentatif de 1074 répondants belges âgés de 16 à 70 ans, à la question "vous sentez-vous avant tout flamand?", les réponses affirmatives étaient endossées par 26% des répondants flamands âgés de 55-à 70 ans, par 29% chez les 45-54 ans, par 16% chez les 35-44 ans, par 20% chez  les 25-34 ans et par 15% chez les 16-24.

La rigueur scientifique prescrit de construire une méthode de recherche qui ne favorise pas la vérification d'une hypothèse au détriment d'une autre. C'est ce que nous avons tenté de faire et ce fut là un des principaux critères d'évaluation de la revue et des experts qu'elle a mandatés. Nous sommes dès lors d'autant plus étonnés qu'un collègue se permette de porter des accusations à l'aveugle et à l'emporte-pièce sur cette étude en raison de résultats qui ne correspondent pas à ses aspirations. Remettre en cause des observations parce que leurs implications nous dérangent est sans doute l'attitude qui sied le moins à un scientifique qui se respecte.
S’il va de soi qu’une critique méthodologique peut être adressée à une étude scientifique, elle se doit de l’être à partir d’arguments scientifiques. Il ne suffit pas de déclarer qu’une recherche s’apparente à "de la science-fiction" pour évacuer ses implications. Ainsi, un argument fort serait de produire les résultats d’autres études scientifiquement validées qui montreraient soit l’absence de différences d’attitudes envers le séparatisme entre générations en Flandre, soit la tendance inverse (l’augmentation des tendances séparatistes chez les jeunes Flamands). De telles études existent-elles?


Bernard Rimé (UCL), 

Pierre Bouchat, Olivier Klein, Laurent Licata (ULB)


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