Le maquillage a assumé différentes fonctions à travers les époques de l’histoire. Lors de la préhistoire, le maquillage était notamment utilisé en guise de protection, de camouflage et lors de rituels. L’utilisation du maquillage est également observable chez certaines tribus pour signaler l’appartenance à un groupe, ou encore lors de l’Ancien Régime en France (Renaissance) durant lequel le port de blanc de céruse, de rouge carmin et de mouches étaient principalement utilisés par les dames « de qualité », et assume donc une fonction de distinction sociale (Tardy, 2012).
Cela étant dit, s’embellir et préserver l’aspect de la jeunesse figurent parmi les fonctions qui ont de tout temps été associées au maquillage. Le maquillage peut donc être envisagé comme une extension du phénotype humain qui augmente l’attractivité du visage (Etcoff, Stock, Haley, Vickery, & House, 2011). L’objectif de cet article est d’examiner les effets du maquillage (et de son intensité) sur la façon dont les individus évaluent l’attractivité et la personnalité des femmes, ainsi que les conséquences psychosociales de ce phénomène.
Le maquillage, l’attractivité et le « halo de beauté »
Pourquoi se maquille-t-on ? Que ce soit à la télévision ou dans la rue nous sommes bombardés de publicités et de films affichant des femmes dont le physique est proche de la perfection. La confrontation continue à ces images va amener de nombreuses femmes à acheter et utiliser des produits cosmétiques en vue d’essayer d’atteindre ces idéaux de beauté (Graham & Jouhar, 1981; Kumar, 2005).
L’effet du maquillage sur la perception d’autrui est étudié en psychologie depuis la seconde moitié du 20ème siècle. L’une des première questions à avoir été posée fut : Le maquillage rend-il plus attractif ? Sans surprise, la réponse est oui. Quelle que soit la quantité de maquillage appliqué, de léger à très appuyé, la majorité des études indiquent que le maquillage augmente la perception d’attractivité (e.g., Nash, Fieldman, Hussey, Lévêque, & Pineau, 2006). Mulhern, Fieldman, Hussey, Leveque et Pineau (2003) ont examiné le rôle spécifique des différentes parties du visage maquillé sur l’évaluation d’attractivité. Ces chercheurs ont mis en évidence qu’un maquillage complet (yeux, teint et bouche) est considéré comme étant le plus attractif aussi bien par les hommes que par les femmes. Cela dit, le maquillage appliqué au niveau des yeux influencerait principalement la perception d’attractivité parmi les femmes alors que l’évaluation d’attractivité chez les hommes serait essentiellement déterminée par la présence de fond de teint.
La beauté et l’attractivité d’une personne influence également la façon dont les individus évaluent la personnalité d’autrui. Un des effets connus de la beauté est le « halo de la beauté », qui consiste à percevoir « ce qui est beau comme étant bon » (Dion, Berscheid, & Waslter, 1972). Par exemple, une femme répondant aux normes de beauté va être évaluée comme plus attirante et jugée plus positivement sur un ensemble de dimensions incluant l’intelligence, la sociabilité et les compétences sociales (Feingold, 1992). Ce « halo de beauté » explique également pourquoi les personnes attirantes physiquement sont susceptibles d’accéder à un meilleur emploi, d’être mieux payées et d’obtenir plus facilement une promotion que les personnes moins attirantes (Frieze, Olson, & Good, 1990; Marlowe, Schneider, Nelson, 1996).
Il convient de souligner que l’impression que nous nous formons des personnes encore peu familières dépend à 55 % de l’évaluation de leur visage (Mehrabian & Weiner, 1967). Puisque porter du maquillage rend plus beau, on pourrait s’attendre à ce que les femmes portant du maquillage soient systématiquement évaluées de façon plus positive que celles qui n’en portent pas. Nous allons voir que ce n’est pas toujours le cas.
L’évaluation des femmes portant du maquillage dépend-elle de l’intensité de ce dernier ?
La première étude réalisée sur le sujet (McKeachie, 1952) indiquait un effet négatif du maquillage sur l’évaluation de la personnalité : Les jeunes femmes qui portaient du rouge à lèvre étaient évaluées comme étant moins fidèles, plus taciturnes, moins consciencieuses et plus intéressées par le sexe opposé. Dans le même ordre d’idées, Huguet et collaborateurs ont mis en évidence que les femmes qui portent un maquillage appuyé sont évaluées comme étant notamment moins sympathiques, moins fiables, plus infidèles, et moins intelligentes (Huguet, Croizet, & Richetin, 2004). En revanche, d’autres études indiquent un effet positif du maquillage sur l’évaluation de la personnalité des femmes (p.e., Graham & Jouhar, 1981).
En fait, il s’avère que les conséquences du maquillage sur la formation d’impression dépendent de la quantité de maquillage appliquée. Des visages portant un maquillage naturel et léger seraient ainsi perçus de façon plus positive, alors qu’un maquillage plus appuyé influencerait négativement la formation d’impression. Par exemple, Etcoff et al. (2011) ont examiné l’effet de l’intensité du maquillage (léger, moyen et fort maquillé) sur l’attribution de différents traits (p.e., sympathie, fiabilité et compétence). Cette étude a révélé que les femmes maquillées légèrement et moyennement étaient évaluées plus positivement que les femmes ne portant pas de maquillage, alors que les femmes portant un maquillage appuyé étaient évaluées plus négativement (p.e., moins fiables) que les femmes ne portant pas de maquillage. Mais pourquoi le maquillage léger est-il associé à des perceptions plus positives alors que le maquillage plus appuyé influence négativement la formation d’impression ?
Le maquillage appuyé : un indice de sexualisation et de disponibilité sexuelle ?
Comme évoqué plus tôt dans cet article, le maquillage naturel et léger permet d’augmenter l’attractivité, notamment parce qu’il accentue les traits du visage associé à la féminité, à la fertilité, à la jeunesse et à la bonne santé. En revanche, porter une quantité importante de maquillage est connoté négativement. Une image qui fut alimentée et renforcée par le cinéma où les prostituées sont souvent représentées portant une grande quantité de maquillage (Roach & Eicher, 1979). Un maquillage appuyé est également associé à l’infidélité et à la duperie (Fontanel, 2001; Remaury, 2000). C’était d’ailleurs déjà le cas au 18ème siècle lorsque le parlement anglais avait proposé une loi suggérant que les femmes coupables d’avoir « dupé » leurs maris en les séduisant via l’utilisation de cosmétiques soient jugées pour sorcellerie. Ces exemples historiques suggèrent que a) les femmes qui portent beaucoup de maquillage sont évaluées comme étant disponibles sexuellement ; b) a) qu’un maquillage appuyé active une perception négative de la personnalité. Comme nous allons le constater, la recherche confirme malheureusement l’existence de ces biais.
Bernard et collaborateurs ont récemment mis en évidence que les visages affichant un maquillage appuyé étaient perçus cognitivement comme le sont habituellement les objets (Bernard, Geelhand, & Servais, 2019). De plus, Bernard et collaborateurs ont également démontré que les visages affichant un maquillage appuyé étaient évalués comme possédant moins de caractéristiques humaines (telles que la sociabilité, la compétence et la moralité) que les mêmes visages ne portant pas de maquillage (Bernard, Content, Servais, Wollast, & Gervais, 2020).
En outre, Batres et al. (2018) ont examiné le lien entre intensité du maquillage et perception de disponibilité sexuelle (i.e., la volonté de se livrer à des activités sexuelles en dehors d'une relation stable). Ces auteurs ont réalisé une étude dans laquelle ils ont demandé à des femmes de compléter un questionnaire comprenant des questions concernant leurs habitudes de maquillage, ainsi que d’autres questions abordant leur disponibilité sexuelle. Les résultats indiquent que les habitudes de maquillage chez les femmes ne sont pas statistiquement associées à leur disponibilité sexuelle. Dans une autre étude, ces mêmes chercheurs ont évalué si les hommes et les femmes perçoivent le maquillage porté par les femmes comme un signal de disponibilité sexuelle. Et c’est en effet le cas : plus une femme porte du maquillage, plus elle est perçue comme étant disponible sexuellement. En d’autres termes, les individus interprètent erronément l’intensité du maquillage comme un signal de disponibilité sexuelle. Par ailleurs, d’autres recherches indiquent que cette perception de disponibilité sexuelle est susceptible de diminuer l’attribution de traits d’humanité (Kellie, Blake, & Brooks, 2019).
Un des objectifs des recherches futures sera d’examiner plus en détail les conséquences des effets objectifiants et déshumanisants du maquillage appuyé sur les comportements à l’égard des femmes. Par exemple, on sait que le maquillage et la sexualisation de façon générale modifient certaines attitudes relatives à la perception du harcèlement et du viol. En effet, les femmes qui portent du maquillage sont évaluées comme étant plus à risque d’être harcelées ou agressées sexuellement (Workman & Johnson, 1991) et une femme victime de viol est évaluée comme étant en partie responsable lorsqu’elle est représentée de façon sexualisée (Loughnan, Pina, & Vasquez, 2013).
Conclusions
Le maquillage est utilisé comme un moteur d’inférences en vue de se former des impressions d’autrui. Ces inférences sont tantôt positives (beauté, personnalité évaluée plus positivement) lorsque le maquillage est léger et naturel, tantôt négatives (objectification, déshumanisation, perception erronée de disponibilité sexuelle) lorsque le maquillage est plus appuyé. Dans ce dernier cas, ces biais dans la formation d’impression peuvent induire des conséquences désastreuses tels que le harcèlement ou encore l’agression sexuelle.
Une lutte efficace contre les violences faites aux femmes implique une déconstruction des stéréotypes associés à la sexualisation, à la beauté et au maquillage. La déconstruction de ces stéréotypes présents chez les hommes (et bien souvent chez les femmes) passe par l’éducation et des campagnes de sensibilisation. La recherche scientifique constitue un outil fondamental en vue d’atteindre cet objectif puisqu’elle permet d’identifier les mécanismes sous-tendant ces stéréotypes et donc d’identifier des pistes d’interventions en vue de les déconstruire.
Références
Batres, C., Russell, R., Simpson, J. A., Campbell, L., Hansen, A. M., & Cronk, L. (2018). Evidence that makeup is a false signal of sociosexuality. Personality and Individual Differences, 122, 148‑154. https://doi.org/10.1016/j.paid.2017.10.023
Bernard, P., Content, J., Servais, L., Wollast, R., & Gervais, S. (2020). An initial test of the cosmetics dehumanization hypothesis: Heavy makeup diminishes attributions of humanness-related traits to women. Sex Roles. Advance online publication. https://doi.org/10.1007/s11199-019-01115-y
Bernard, P., Geelhand, P., & Servais, L. (2019). The face of sexualization: Faces wearing makeup are processed less configurally than faces without makeup. International Review of Social Psychology, 32, 16. https://doi.org/10.5334/irsp.211
Dion, K., Berscheid, E., & Walster, E. (1972). What is beautiful is good. Journal of Personality and Social Psychology, 24, 285‑290. https://doi.org/10.1037/h0033731
Etcoff, N. L., Stock, S., Haley, L. E., Vickery, S. A., & House, D. M. (2011). Cosmetics as a feature of the extended human phenotype: Modulation of the perception of biologically important facial signals. PLoS ONE, 6(10), e25656. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0025656
Feingold, A. (1992). Good-looking people are not what we think. Psychological Bulletin, 111, 304‑341. https://doi.org/10.1037/0033-2909.111.2.304
Fontanel, B. (2001). L’éternel féminin : Une histoire du corps intime. Seuil.
Frieze, I. H., Olson, J. E., & Good, D. C. (1990). Perceived and actual discrimination in the salaries of male and female managers. Journal of Applied Social Psychology, 20, 46‑67. https://doi.org/10.1111/j.1559-1816.1990.tb00377.x
Graham, J. A., & Jouhar, A. J. (1981). The effects of cosmetics on person perception. International Journal of Cosmetic Science, 3, 199‑210. https://doi.org/10.1111/j.1467-2494.1981.tb00283.x
Huguet, P., Croizet, J.-C., & Richetin, J. (2004). Is « what has been cared for » necessarily good? Further evidence for the negative impact of cosmetics use on impression formation1. Journal of Applied Social Psychology, 34, 1752‑1771. https://doi.org/10.1111/j.1559-1816.2004.tb02796.x
Kellie, D. J., Blake, K. R., & Brooks, R. C. (2019). What drives female objectification? An investigation of appearance-based interpersonal perceptions and the objectification of women. PLOS ONE, 14, e0221388. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0221388
Kumar, S. (2005). Exploratory analysis of global cosmetic industry: Major players, technology and market trends. Technovation, 25, 1263‑1272. https://doi.org/10.1016/j.technovation.2004.07.003
Loughnan, S., Pina, A., Vasquez, E. A., & Puvia, E. (2013). Sexual objectification increases rape victim blame and decreases perceived suffering. Psychology of Women Quarterly, 37, 455‑461. https://doi.org/10.1177/0361684313485718
Marlowe, C. M., Schneider, S. L., & Nelson, C. E. (1996). Gender and attractiveness biases in hiring decisions: Are more experienced managers less biased? Journal of Applied Psychology, 81, 11‑21. https://doi.org/10.1037/0021-9010.81.1.11
McKeachie, W. J. (1952). Lipstick as a determiner of first impressions of personality: An experiment for the general psychology course. The Journal of Social Psychology, 36, 241‑244. https://doi.org/10.1080/00224545.1952.9921861
Mehrabian, A., & Wiener, M. (1967). Decoding of inconsistent communications. Journal of Personality and Social Psychology, 6, 109‑114. https://doi.org/10.1037/h0024532
Mulhern, R., Fieldman, G., Hussey, T., Leveque, J.-L., & Pineau, P. (2003). Do cosmetics enhance female Caucasian facial attractiveness? International Journal of Cosmetic Science, 25, 199‑205. https://doi.org/10.1046/j.1467-2494.2003.00188.x
Nash, R., Fieldman, G., Hussey, T., Lévêque, J. L., & Pineau, P. (2006). Cosmetics: They influence more than Caucasian female facial attractiveness. Journal of applied social psychology, 36, 493-504. https://doi.org/10.1111/j.0021-9029.2006.00016.x
Remaury, B. (2000). Le beau sexe faible : Les images du corps féminin entre cosmétique et santé. Grasset.
Roach, M. E., & Eicher, J. (1979). Language of personal adornment In J. Cordwell & R. Schwarz (Eds), The fabrics of culture: The anthropology of clothing and adornment (pp.7-22). Mouton Publishers.
Tardy, M. (2012). Histoire du maquillage des Egyptiens à nos jours. Dangles.
Workman, J. E., & Johnson, K. K. P. (1991). The role of cosmetics in impression formation. Clothing and Textiles Research Journal, 10, 63‑67. https://doi.org/10.1177/0887302X9101000109