Prison et sexualité sont deux mots que nous avons généralement peu l’habitude de voir associés. En dehors du fait que la sexualité reste globalement un sujettabou dans notre société, on imagine généralement les personnes détenues comme coupées de tout et peu préoccupées par la sexualité. Dans de nombreux esprits, il serait même impensable de laisser ces hommes et ces femmes avoir des rapports sexuels : beaucoup s’étonnent déjà qu’ils aient accès à des loisirs.
Cependant, la sexualité est importante pour tout un chacun, d’abord d’un point de vue personnel mais également pour la santé. En effet, l’Organisation Mondiale de la Santé considère la santé sexuelle comme faisant partie de la santé, du bien-être et de la qualité de vie en générale. Le fait d’être privé de relations sexuelles peut d’ailleurs avoir des effets délétères sur la santé physique comme psychique des individus. De manière plus générale, cela peut également avoir des conséquences dans les relations interpersonnelles que l’individu conserveainsi que dans sa manière de se comporter.
Car la sexualité, cela touche au corps. Ce corps qui, en prison, se trouve malmené par l’enfermement, la promiscuité et les conditions de vie qui y sont liées. Si l’espace exigu et les matériaux durs qui forment la cellule du détenu pèsent déjà lourds, les sens sont également touchés. Les bruits, les stimulations visuelles et même le goût sont des composantes qui, enfermé, ne sont pas stimulées de la même façon et cela a des conséquences néfastes. Le toucher est également mis à mal. Peu de contacts sont possibles au quotidien dans l’enceinte de la prison et quand ils le sont, il s’agit rarement de gestes doux dont le corps a besoin. A cela s’ajoute le manque évident d’intimité ; il est difficile pour un détenu de pouvoir s’isoler et quand l’intéressé arrive à se ménager des petits moments de solitude, il se fait rapidement rattrapé par la réalité de l’environnement dans lequel il se trouve.
Il ne faut pas non plus oublier que le fait d’être coupé de sa sexualité peut avoir des effets à plus long terme. En effet, à force d’en être « privé », l’individu finit par se demander s’il est encore capabled’avoir des relations sexuelles ou simplement une sexualité. Il n’est pas rare que les détenus comblent ce manque par d’autres activités comme l’exercice physique. A plus long terme, cela a également un impact sur leurs relations avec leur conjoint(e). Après parfois un long moment enfermé, le fait de se retrouver dans l’intimité de son couple peut être stressant et le fait de reprendre une vie de couple peut être difficile et prendre du temps.
Mais la question qui se pose surtout est celle de savoir si les relations sexuelles sont présentes et/ou autorisées ou non dans les établissements pénitentiaires. Depuis l’arrêté royal du 8 avril 2011, tout détenu peut, après un mois de détention, faire la demande d’une visite dans l’intimité avec une personne qui a, pendant 6 mois au moins, manifesté un intérêt permettant de croire à une relation sérieuse avec le détenu. Cette demande doit être faite par écrit au directeur de la prison et le service psychosocial doit en être informé afin de lui communiquer les informations pertinentes. Si la demande est faite par un interné, un avis multidisciplinaire du service psychosocial est requis. Cet article définit également les règles de la visite en intimité. Ni le détenu ni les visiteurs ne peuvent introduire d’objet dans le local réservé pour ces visites et le local doit être remis en ordre pour la fin de celles-ci. Le local prévu à cet effet est séparé de l’endroit principal où se déroulent les visites classiques et il n’est pas surveillé. Cette visite peut avoir lieu avec le conjoint mais aussi avec d’autres membres de la famille (parents, enfants, frères et sœurs, …). Les détenus, qu’ils soient prévenus ou condamnés, ont droit à une visite de ce type au moins une fois par mois. J’ai pu, de par ma courte expérience en prison, constater que les règles de base des prisons sont souvent appliquées en fonction des moyens (locaux, personnels, ...) et du fonctionnement de chaque établissement. Dès lors, il est possible que l'organisation des visites intimes soient également abordée différemment selon le lieu où la personne est incarcérée.
Néanmoins, il est intéressant de constater que ce genre d’initiative a été prise et que ce type de visite est possible pour les détenus. Toutefois, cela suffit-il à aider les détenus dans leur quotidien et surtout, est-ce que ça leur permet de maintenir une sexualité ? Je n’en suis pas persuadée. Bien que cela soit une opportunité qui peut permettre aux individus de sortir un peu du cadre de la prison, l’environnement dans lequel ces visites s’effectuent reste semblable aux conditions générales de détention et des visites en elles-mêmes. Et lorsqu’on se retrouve avec les siens, hors surveillance, les relations sexuelles ne sont peut-être pas toujours la priorité mais cela peut plutôt être l’occasion de partager et d’échanger autre chose, de façon plus intime. Bien que ces échanges ne soient pas surveillés, on ne peut pas dire pour autant que l’intimité soit réellement présente : on reste dans l’enceinte d’une prison, la dureté du lieu reste de mise, le temps est compté et surtout, il ne s’agit pas d’un espace personnel, qui nous appartient et de ce fait le sentiment d’intimité peut sembler absent.
C’est d’ailleurs un sujet qui est rarement abordé par les détenus. Je n’ai que peu d’expérience dans l’univers carcéral mais je n’ai jamais entendu un(e) détenu(e) parler de cela au cours d’un entretien avec le service psychosocial. Je pense que c’est un sujet qui reste tabou pour ces personnes et on peut imaginer qu’à cela s’ajoute la réserve d’en parler à un intervenant. Il n’est pas évident de parler de sexualité à un inconnu, encore moins quand celui-ci est un acteur principal dans la réinsertion de la personne incarcérée. Cependant, il semble nécessaire que cela soit pris en considération. Tout d’abord, il est important d’avoir une meilleure compréhension des pratiques sexuelles en prison, que celles-ci aient lieu lors des visites dans l’intimité ou de façon « secrète » entre les détenus. Cela permettrait notamment de pouvoir réfléchir à l’impact important que cela peut avoir sur la santé du détenu. En lien avec cela, lorsque l’on parle de sexualité, il faut toujours considérer que cela peut représenter un tout autre risque, celui des maladies et infections sexuellement transmissibles. Dès lors, le fait d’accorder de l’importance à ce sujet,pourrait entre autres permettre de prévenir ce genre de risque qui est bel et bien présent mais aussi de faire évoluer les mentalités et de mettre le sujet au cœur des discussions afin de peut-être faire évoluer les choses.
Sophie Dumont, étudiante en Master 2 à finalité Psychologie Sociale et Interculturelle. J'ai réalisé mon second stage au Service Psycho-Social de la Prison de Bruxelles.
Références :
- François, A. (2015). Etude sur la sexualité en milieu carcéral belge (Doctoral dissertation). Université de Liège, Liège. Retrieved from https://orbi.uliege.be/handle/2268/178644
- Ricordeau, G. (2008). Les prisonniers ont-ils (encore) une sexualité?. Le sociographe, (3), 32-42.
- Service Public Fédéral Justice. (2019). Types de visite. Retrieved from https://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/prisons/rendre_visite_a_un_detenu/types_de_visite#a3
- Arrêté royal déterminant la date d'entrée en vigueur et d'exécution de diverses dispositions des titres III et V de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. (2011). Moniteur belge, 21 avril, p. 24716
No comments:
Post a Comment