Spiritualités et théories du complot (TC) remplissent toutes deux une fonction d’explication d’évènements intrigants, effrayants, sources d’incertitude et d’anxiété. Ces courants de pensée permettent de remettre de l’ordre dans des évènements qui peuvent sembler chaotiques et dont on veut connaître les causes. Nous en avons peut-être encore plus besoin aujourd’hui dans le climat de pandémie, crises économiques, climatiques et sociales, la société de la surveillance, ... Et internet permettant un partage massif d’informations anxiogènes.
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Members of the center for social and cultural psychology at the Université Libre de Bruxelles share a few thoughts on the world outside the lab/ Quelques réflexions sur le monde proposées par les membres du centre de psychologie sociale et interculturelle de l'Université Libre de Bruxelles.
Friday, June 12, 2020
Conspiritualité : voyage entre complotisme et ésotérisme
Sunday, June 7, 2020
L'idéal scientifique au temps du COVID-19 : quelle leçon tirer de la "saga chloroquine" ?
Rembrandt, Savant à son bureau (1634)
Le billet qui suit est l'expression d'un point de vue personnel qui n'engage que son auteur. Ce n'est pas un « avis scientifique ».
J’ai beau
n’être qu’un petit thésard en deuxième année de doctorat, je me considère comme
membre de la « communauté scientifique ». Cela peut sembler gnangnan
dit comme ça, mais c’est une appartenance (une identité sociale, diraient les psychologues
sociaux) qui me tient à cœur. Et je pense que c’est le cas pour beaucoup de
chercheuses et chercheurs de toutes les disciplines et de toutes les
générations.
Durant mon
parcours, j’ai eu la chance de croiser le chemin de personnes qui m’ont inculqué
une certaine idée de la science comme entreprise humble, collective, prudente,
vers des bribes de vérité sur le monde. Une vocation où la discussion critique avec
les collègues de tous horizons et de tous niveaux de prestige sont autant d’opportunités
d’affiner son regard sur son objet d’étude. Une vocation où les blessures à
l’ego (oui, je te regarde Reviewer 2) sont, pour qui sait accepter leur part de
vérité, des opportunités de mûrir. Une vocation où il faut reconnaître son
ignorance devant l’infinie complexité de la réalité, et toujours rester ouvert
à l’éventualité que l’observation rigoureuse puisse donner tort à une intuition
théorique, aussi élégante et convaincante soit-elle sur le papier. Une
vocation, enfin, où l’intelligence et la rigueur du propos prévalent de façon
inconditionnelle sur les lauriers de son auteur.
Tout cela
est bien sûr un idéal. Il suffit de passer quelques mois dans le monde de la
recherche pour réaliser à quel point il s’agit, comme tous les milieux
professionnels, d’un lieu de pouvoir où les egos s’affrontent ; où la
rareté des financements met souvent de fait en compétition les intérêts
collectifs (le progrès de la connaissance) et individuels (les carrières
académiques). Par ailleurs, cela serait merveilleux si notre travail n’était
jamais critiqué de façon injuste, voire franchement mesquine. Cependant l’idéal
est là, et on tend vers lui avec espoir, en combattant les dérives qui le
trahissent et en encourageant les initiatives qui l’honorent. Les générations
de scientifiques se succèdent et les mentalités, je pense, évoluent dans le bon
sens.
Où est-ce
que je veux en venir avec tout cela ? Au fait que cet idéal partagé par
beaucoup, Didier Raoult le rejette explicitement. Dans une récente vidéo, il
explique par exemple que ne pas tenir compte du CV de l’auteur lorsqu’on
expertise la qualité de son travail est une folie. Il faudrait donc renoncer à
l’expertise anonymisée (qui est actuellement la norme) et considérer qu’un même
texte, selon qu’il proviendrait d’une source prestigieuse ou au contraire
inconnue, puisse avoir une valeur différente. Par ailleurs, il a refusé tout du
long de s’engager dans une discussion critique concernant le travail de son
équipe, se bornant à répéter qu’on ne pouvait pas le comprendre, qu’il était le
meilleur. Il loue sélectivement tout ce qui va dans le sens de ses conclusions
(y compris des travaux finalement rétractés pour biais méthodologiques graves) et critique de façon virulente tout ce qui va à l’encontre de son
traitement (et tout d’un coup, la rigueur méthodologique qui lui avait tant
manqué se réveille).
Je ne veux
pas relancer de polémique stérile. Je dis cela juste pour expliquer (et en
quelque sorte, confesser) que oui, chez beaucoup de scientifiques, il y a
quelque chose d’affectif dans « l’affaire de la chloroquine » :
un conflit d’idéaux. Je sais que je ne suis pas le seul à ressentir de la colère
mêlée de désarroi à voir autant de gens se rallier à la cause d’une personne
expliquant, en substance, que l’intuition théorique géniale du plus génial des
chercheurs a plus de poids qu’une critique collective et argumentée émanant de
la communauté scientifique (rappelons qu’à ce jour, il n’y a toujours aucune
preuve de l’efficacité de sa bithérapie – même ses propres travaux ne permettent pas d’arriver à cette conclusion).
Puis il y a
eu le « LancetGate ». Une étude aux résultats alarmants portant sur
l’usage de l’hydroxychloroquine et publiée dans The Lancet, la revue médicale
la plus prestigieuse au monde, a été rétractée à la demande de trois de ses
quatre auteurs. En cause, la suspicion d’une faute scientifique gravissime, à
savoir la fabrication de données cliniques par une société détenue par le
dernier auteur. Suite à cette annonce, j’ai ressenti un certain nombre de choses.
D’abord, de façon assez puérile, de l’agacement, car j’anticipais les
fanfaronnades de Raoult et de ses partisans (ça n’a pas manqué). Ensuite, de la colère vis-à-vis du processus de publication scientifique, parce
qu’il semble hallucinant qu’à un tel niveau d’exigence, un couac aussi énorme puisse
passer. Enfin, j’ai été rassuré. Parce que cette rétraction rapide prouve que la
science comme entreprise collective, aussi imparfaites que soient les
institutions qui l’incarnent aujourd’hui, sait reconnaître ses erreurs et les
corriger. Rassuré que la mobilisation de la communauté scientifique puisse être
entendue, et qu’en ce sens, non, la science n’est pas vendue à « Big
Pharma » ou qui sais-je d’autre. Rappelons au passage que parmi les
chercheuses et chercheurs qui ont mis en cause l’étude de The Lancet, on
comptait de nombreuses personnes par ailleurs virulemment critiques des travaux
de l’équipe de Didier Raoult. Je crois fermement que ce refus de prendre parti
pour un camp autre que celui de la rigueur et de la transparence constitue
l’honneur de la science.
Finalement,
cette histoire rappelle que le véritable problème dépasse de très loin le
pugilat du « pour ou contre » tel ou tel traitement. En réalité, Raoult n'est pas le seul scientifique de renom à être parti en vrille durant
cette pandémie (peut-être est-il celui qui a vrillé le plus loin). Il est
par ailleurs probable que la pandémie n’ait été qu’un révélateur, et
que des pratiques de recherches douteuses, voire frauduleuses, seront dénichées
dans les travaux passés de toutes ces personnes. Il est également probable que sans
ces pratiques qui trahissent l’idéal scientifique, la carrière de ces
personnes n’aurait pas été aussi faste. C'est hélas ce genre de profils qu’on
a le plus entendu (ou, à tout le moins, beaucoup trop entendu) dans les médias. Mais pendant ce temps-là, des milliers de chercheuses
et chercheurs faisaient et font toujours leur travail, loin des projecteurs. C’est
de leurs efforts qu’on peut attendre des réponses solides à nos questions, à
défaut d’avoir un jour des réponses définitives.
Peut-être que par ce naufrage, nous aurons
un peu plus pris conscience d’à quel point la quête de gloriole et les conflits
d’égos sont toxiques, aussi bien pour la recherche scientifique elle-même que
pour l’image qu’elle renvoie au public. A cet égard, le problème dépasse de
loin le mandarin marseillais. Et si je retiens une leçon de ce lamentable
feuilleton, c’est à quel point l’idéal décrit au début de ce texte mérite d’être
défendu.
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