Laura De Guissmé est aspirante FRS-FNRS. Ses travaux portent sur les aspects psychosociaux du sentiment de victimisation collective.
En tombant sur la citation « Je ne suis
pas superstitieux, ça porte malheur » (souvent attribuée à Jean-Paul
Sartre, Jeanson ou encore Coluche), je me suis interrogée : La
superstition serait-elle effectivement néfaste dans la vie de tous les
jours ?
La superstition est, selon
le Larousse, une « forme élémentaire
et particulière des sentiments religieux consistant dans la croyance à des
présages tirés d’événements matériels fortuits ». Il s’agirait d’une
croyance irrationnelle, inexplicable par une démarche scientifique. A l’inverse
de cette démarche, la pensée primitive considère que lorsque deux événements se
produisent en même temps, l’un des deux est la cause de l’autre. Certains
parlent alors de « pensée magique ».
Les superstitions font
partie de notre vie quotidienne et remontent à la nuit des temps ; les
hommes étant, en effet, désireux de connaître leur environnement et plus
particulièrement, de le comprendre. La peur et l’ignorance seraient donc en
cause dans l’apparition des superstitions. Cependant, comment expliquer leur
maintien ? Alors que la peur irrationnelle du noir s’explique par le
besoin ancestral de se protéger des prédateurs nocturnes invisibles dans
l’obscurité, comment expliquer que certaines personnes refusent de passer sous
une échelle ou considèrent que renverser une salière porte malheur ? Force
est de constater que ces différentes « croyances » sont effectivement
repérables quotidiennement dans nos faits et gestes mais également dans nos
réflexions et prises de décision. Qui n’a jamais cherché après un trèfle à 4
feuilles, croisé les doigts ou touché du bois pour faire fuir le « mauvais
sort » ? Bizarrement, depuis que j’ai émis l’idée d’écrire sur cette
thématique, j’ai repéré davantage l’effet des superstitions sur notre culture
et j’ai même eu l’impression d’y être confrontée constamment. Par exemple, si
on prend l’exemple du chiffre 13, saviez-vous qu’aux USA, certains hôtels n’ont
pas d’étage ni de chambre 13 ? En Asie, la peur du 13 est remplacée par
celle du chiffre 4 (homophone en chinois du mot « mort »). Les
pilotes de Formule 1 auraient peur du chiffre 13 depuis la mort de 2 pilotes
portant ce numéro en 1925 et 1926 ; ce chiffre ne serait donc plus porté
en F1 sauf si le pilote en fait la demande (tel que Pastor Maldonado cette
année). On remarque également que de nombreux services hospitaliers n’ont pas
de lit n°13, que Cancellara, un coureur cycliste, retourne son dossard quand il
porte le numéro 13, que Stephen King ne lit jamais les pages 13 des livres ou
encore, que le magazine Spirou n’a pas de page 13, celle-ci étant remplacée par
la page 12bis.
Quel est le problème me
direz-vous ? Selon moi, le fait de
croire ou non en toutes ces choses n’est pas fondamentalement un
« problème » ; cela fait partie de notre culture et de notre
inconscient collectif. Là où l’on peut percevoir un souci, c’est lorsque ces
croyances atteignent des extrêmes. Par exemple, la peur du numéro 13 a donné
naissance à sa propre phobie, la « Triskaïdékaphobie » ; celle du vendredi
13 s’appelle, quant à elle, « Paraskevidékatriaphobie ». Cette
dernière irait jusqu’à faire perdre pas loin de 800 millions de dollars aux USA ;
les vendredis 13 étant synonymes d’une baisse importante de la consommation
étant donné que de nombreuses personnes n’osent pas sortir de chez elles. La croyance irrationnelle dans les
superstitions pourrait donc avoir un impact négatif sur la manière dont les
individus conduisent leur vie. A l’extrême, elles peuvent devenir pathologiques
en faisant perdre à l’individu son objectivité en prêtant à des faits et objets
des pouvoirs surnaturels. Elles pourraient donc être destructrices en donnant
naissance, par exemple, à des Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOCs). De manière moins alarmiste, le fait de se
sentir malchanceux après avoir cassé un miroir ou croisé un chat noir, crée une
anxiété qui pourrait mener les personnes à rater plus de choses dans leur
quotidien.
En période de stress, chaque
individu a besoin d’un élément auquel se raccrocher afin d’évacuer ses
angoisses. La superstition pourrait dès lors devenir un moyen de se rassurer.
Cependant, s’en remettre à des forces invisibles peut également être un moyen
de se déresponsabiliser. Freud, dans la « Psychopathologie de la vie
quotidienne » (1901), considère que l’individu qui s’appuie sur des
événements extérieurs indépendants de sa personne pour prendre une décision,
fait appel non pas à une superstition mais à un « désir refoulé ».
Les événements extérieurs serviraient donc à justifier une décision déjà prise
inconsciemment par l’individu.
Cependant, soyons honnêtes,
les superstitions populaires semblent majoritairement anodines et font
davantage partie de notre folklore bien qu’un nombre limité de personnes
connaissent leur origine ; finalement, très peu de gens y croient mais très peu
prennent le risque de les bafouer. Peu de gens dans le monde approchent la vie
d’une façon tout à fait rationnelle et chacun a besoin de se raccrocher à des
« signes » pour pouvoir évacuer l’angoisse de la vie. S’en remettre à des superstitions peut donner
un sentiment de contrôle dans ce monde où beaucoup ne se sentent plus maîtres
de leur destin. On pourrait parler d’un effet placebo positif de certaines
superstitions : porter son t-shirt préféré lors d’un examen ou d’une
compétition sportive pourrait augmenter le sentiment de contrôle et de
confiance en soi et donc mener à de meilleures performances. Des psychologues
allemands, Damisch et ses collègues (2010) de l’université de Cologne ont, par
exemple, montré que des participants chez qui une superstition positive avait
été activée, montraient de meilleures performances dans des tâches cognitives
et motrices que des personnes chez qui aucun concept n’avait été activé. Il
semblerait donc qu’activer une superstition de chance mènerait à une meilleure
performance grâce à l’activation de la croyance en une meilleure habilité à
réaliser des tâches difficiles. Cependant, qu’en serait-il d’une étude qui
activerait une superstition négative ?
Finalement, malgré toutes
ces histoires de phobies du vendredi 13, certaines personnes ne considèrent pas
ce jour comme malchanceux, bien au contraire : tous les vendredis 13, la
Française des Jeux enregistre 3 fois plus de joueurs.
En définitive, les
superstitions constituent un fragment important de notre histoire et de notre
culture et véhiculent des informations parfois intéressantes ; s’en
remettre à elles ne conduirait pas à de lourdes conséquences, à condition que
l’absence de « bons signes » n’implique pas l’échec pour l’individu…
Références :
Damisch, L., Stoberock, B., Mussweiler, Th. (2010). Keep your fingers crossed ! How superstition improves performance. Psychological Science, 21(7), 1014-1020.
Freud, S. (1901). Psychopathologie de la vie quotidienne. Paris, Editions Payot.
Larousse en ligne : www.larousse.fr
Discover : http://blogs.discovermagazine.com/notrocketscience/2010/06/07/superstitions-can-improve-performance-by-boosting-confidence/#.U-DZLRZX6VG
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