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« Notre volonté, c’est qu’au terme de ses études, chaque étudiant du secondaire ait au minimum été confronté à l’histoire de la colonisation et de la décolonisation au Congo. Mais aussi à celle d’un autre pays ’à la carte’, en fonction du public scolaire. »
Ces propos avancés par la députée bruxelloise Catherine Moureaux mettent l'exergue sur le débat concernant la représentation de la mémoire au sein de l'école (Belga, 2016). En effet, bien que la volonté de l'enseignement soit de transmettre une Histoire objective, les cours sont influencés par ce que le peuple retient des faits. Cette version modifiée de l'Histoire correspond à ce que certains chercheurs nomment la mémoire collective (Bar-Tal, 2011). Cette dernière n'est pas toujours en concordance avec les faits car les groupes peuvent les modifier ou les raconter de manière à servir leurs objectifs présents. Plusieurs canaux transmettent cette mémoire : la famille, les pairs, mais également les écoles (Bar-Tal, 2011, Tuitiaux-Guillon & al., 2003). A ce titre, les manuels scolaires d'Histoire font partie des médium transmettant une version donnée. Cela peut avoir deux conséquences principales développées ci-dessous.
Une récit unique sur les évènements
En transmettant une certaine vision de l'Histoire, on perpétue une narration unique et ethnocentrique des évènements. La psychologie sociale définit une narration comme une ou plusieurs histoires cohérentes, ayant pour but de fournir une explication au groupe, à propos de lui-même et/ou du monde (Salomon, 2004 ; Bar-Tal & al., 2014). Ainsi, ce récit va toujours glorifier le groupe (Klar & Baram, 2016).
Un premier exemple est la narration de la colonisation belge et la période post-coloniale dans les manuels scolaires. Van Nieuwenhuyse (2014, 2015) constate que les manuels scolaires belges, de 1940 à aujourd'hui, ont une absence de la perspective et du point de vue congolais. La narration est strictement belge, blanche, même si aujourd'hui elle est plus critique que dans les manuels scolaires des années 40. En conséquence, la vision rapportée est ethnocentrique et ne prend pas en compte le vécu colonial de l'autre groupe. Parmi les suites possibles, il y a la non-reconnaissance perçue par les jeunes issus du Congo qui étudient ce manuel.
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Des stéréotypes maintenus
Un deuxième impact est la perpétuation de stéréotypes négatifs sur l'autre groupe. Les manuels scolaires sont un reflet de la société et peuvent donc contenir les croyances négatives de celles-ci à l'égard de certains groupes. Clawson et Kegler (2000) ont, par exemple, analysé la surreprésentation des Noirs dans les manuels scolaires aux Etats-Unis, comme faisant partie de la catégorie de personnes pauvres qui ne font rien pour sortir de cette précarité. Ceci perpétue une croyance déjà présente dans la société américaine.
Ce type de phénomène est d'autant plus présent dans les conflits. Par exemple, dans le cas du conflit israélo-palestinien, Oren et Bar-Tal (2005) mettent en évidence que les deux groupes entretiennent des stéréotypes négatifs sur l'autre tout au long de l'Histoire et ces stéréotypes peuvent être retracés dans les manuels d'Histoire. Les stéréotypes des Israéliens envers les Palestiniens consistent à les voir comme des voleurs, vandales, primitifs et violents. Quant aux Palestiniens, ceux-ci percevraient les Juifs comme étrangers, croisés, intrus et ennemis.
Quelles solutions apporter à ce problème ?
Les chercheurs en psychologie sociale pensent que mieux connaître le récit de l'autre permet de la légitime et ainsi, diminuer les attitudes négatives envers autrui. Mieux connaître l'autre, c'est également l'humaniser, avoir une vision plus complexe et donc moins stéréotypique.
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Suivant la même logique, dix historiens allemands et français ont écrit un manuel d’histoire franco-allemand, ayant pour titre en français " française Histoire/Geschichte : l’Europe et le monde depuis 1945". Dans les deux langues, ce manuel est strictement identique, jusque dans sa couverture et son format. Ce projet répond à la nécessité de mettre fin aux tensions historiques entre la France et l'Allemagne (François, 2007).
En résumé
Dans une perspective psycho-sociale, la problématique des manuels scolaires, en particulier ceux d'Histoire, pose question non seulement au niveau de la perpétuation de certains stéréotypes mais également d'une narration unique, propre à son groupe. Ces travers risquent de nous enfoncer dans un renfermement vis-à-vis de l'autre, dans des préjugés négatifs. Pour briser ces croyances, des manuels avec une narration duelle, écrites par les groupes conjointement sont une proposition intéressante. L'école, premier lieu de socialisation dans nos sociétés, joue un grand rôle au niveau des préjugés et de la cohésion sociale. Elle forme les futurs citoyens et, dès lors, avoir des outils plus complexes pour aborder la réalité de façon nuancée peut être un pas en avant. Bien que les recherches soulignent de grandes lacunes dans l’apprentissage de l’Histoire à l’école, les études nous permettent aussi de mettre en lumière des solutions.
Fariha Ali - étudiante en MA-2 en psychologie sociale et interculturelle, actuellement en stage au sein du CrePsI.
Bibliographie:
-Adwan, S., & Bar-On, D. (2003). Shared History Project: A PRIME Example of Peace-Building Under Fire. International Journal of Politics, Culture, and Society, 17(3), 513-521. doi:10.1023/b:ijps.0000019616.78447.5e
-Adwan, S., Bar-Tal, D., & Wexler, B. E. (2014). Portrayal of the Other in Palestinian and Israeli Schoolbooks: A Comparative Study. Political Psychology, 37(2), 201-217. doi:10.1111/pops.12227
-Bar-Tal, D. (2011). Introduction : Conflicts and Social psychology. In Intergroup conflicts and their resolution: A social psychological perspective. New York: Psychology Press.
-Belga. (2016, November 23). Cours d’histoire selon l’origine de l’élève: Catherine Moureaux revient sur ses propos. Retrieved from http://www.lesoir.be/1374486/article/actualite/enseignement/2016-11-23/cours-d-histoire-selon-l-origine-l-eleve-catherine-moureaux-revient-sur-ses-pr
-Clawson, R. A., & Kegler, E. R. (2000). The Race Coding of Poverty in American Government College Textbooks. Howard Journal of Communications, 11(3), 179-188. doi:10.1080/10646170050086312
-François, É. (2007). Le manuel franco-allemand d'histoire. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 94(2), 73. doi:10.3917/ving.094.0073
-Klar, Y., & Baram, H. (2016). In De FENCE of the In-Group Historical Narrative in an Intractable Intergroup Conflict: An Individual-Difference Perspective. Political Psychology, 37(1), 37-53. doi:10.1111/pops.12229
-Oren, N., & Bar-Tal, D. (2005). La délégitimation : un obstacle au processus de paix. In L'autre: Regards psychosociaux (pp. 175-240). Grenoble, France: Presses universitaires de Grenoble.
-Salomon, G. (2004). A Narrative-Based View of Coexistence Education. Journal of Social Issues, 60(2), 273-287. doi:10.1111/j.0022-4537.2004.00118.x
-Tutiaux-Guillon, N., Nourrisson, D., Société internationale pour la didactique de l'histoire, & Institut universitaire de formation des maîtres (Académie de Lyon). (2003). Identités, mémoires, conscience historique. Saint-Étienne, France: Publications de l'université de Saint-Étienne.
-Van Nieuwenhuyse, K. (2015). Increasing criticism and perspectivism: Belgian-Congolese (post)colonial history in Belgian secondary history education curricula and textbooks (1990-present). International Journal of Research on History Didactics, History Education, and Historical Culture, 36, 183-204.
-Van Nieuwenhuyse, K. (2014). From triumphalism to amnesia. Belgian-Congolese (post)colonial history in Belgian secondary history education curricula and textbooks (1945-1989). Yearbook of the International Society for History Didactics,35, 79-100.
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