Source: Pixabay
Comment amener un individu à faire ce que l’on
voudrait qu’il fasse ? Comment identifier et contourner les stratégies de
manipulation marketing souvent malhonnêtes utilisées par les vendeurs, les
commerçants ou les individus malintentionnés ? Les techniques utilisées
sont-elles toujours accessibles à la conscience ?
Les stratégies de manipulation apparaissent dans toutes les situations
de la vie quotidienne de manière contrôlée ou tout à fait involontaire. Tantôt,
elles sont présentes dans certains échanges interpersonnels entre amis,
amoureux ou collègues. Parfois, elles sont utilisées à des fins malhonnêtes par
une multinationale ou un vendeur prêt à stimuler vos cinq sens pour augmenter
votre désir d’achat ou même par un Casanova, dans le but de vous faire
succomber en amour. Très prisée des psychologues sociaux, la théorie de
l’engagement décrit quelques techniques et procédures qui permettent
d’influencer un individu dans ses décisions, ses choix et ses comportements.
Cet article a donc pour objectif de présenter brièvement cette théorie en
l’illustrant d’exemples concrets.
Commençons par la notion d’engagement qui est considérée comme « le lien qui relie l'individu à ses
actes comportementaux » (Kiesler et Sakumura
1966, p. 349). Cette définition nous montre que, d’une part, seuls nos actes
nous engagent et pas nos idées ou nos sentiments. D’autre part, elle nous
montre aussi que l’on peut être engagé par ses actes à des degrés divers. Pour
les psychologues sociaux
Beauvois et Joule (2012), l’engagement dépend
de nombreux facteurs externes et donc du contexte (par exemple, le caractère
public ou privé de l’acte, son caractère irrévocable, son coût, le sentiment de
liberté qui y est associé…).
La théorie de l’engagement décrit un nombre important de
techniques et procédures permettant d’influencer autrui dans ses choix, ses
décisions et son comportement. Parmi les plus connues, on retrouve l’amorçage,
la technique de la « porte-au-nez », le toucher ou encore
l’hypocrisie induite. Je détaillerai ici deux procédures phares de cette
théorie, à savoir la technique de l’étiquetage et celle du
« pied-dans-la-porte ». Enfin, j’apporterai un regard critique sur
l’utilisation malhonnête de ces stratégies dans le domaine de la vente.
L’étiquetage
La technique de l’étiquetage, appelée aussi l’explication interne,
consiste à mentionner un trait de caractère ou une qualité d’une personne pour
qu'elle ait tendance à les valider dans ses actes. De fait, labelliser un
individu d’une disposition particulière augmentera la probabilité qu'il se
comporte conformément à l’étiquette que l’on vient de lui imposer. Pour
comprendre ce phénomène, Miler et son équipe (1975) ont mené une étude dans une
classe d’enfants de huit à onze ans afin de savoir comment apprendre aux jeunes
à jeter leurs déchets pour respecter la propreté dans leur classe. Les
chercheurs ont donc mis en place trois conditions. La première était celle de
persuasion qui consistait à donner l’ordre aux enfants d’être propres et
ordonnés. La seconde condition fut celle de l’étiquetage et consistait à
affirmer aux enfants qu’ils étaient propres et ordonnés. Enfin, dans la
troisième condition, rien n’était dit aux enfants (condition contrôle).
Ensuite, le professeur distribuait des bonbons aux enfants à la fin du cours et
mesurait la proportion d’emballages de bonbons jetés à la poubelle et ceux
laissés sur les bancs. Les résultats de cette étude ont démontré que les
enfants jetaient significativement plus souvent leurs déchets dans la poubelle
lorsqu’ils étaient placés dans la condition d’étiquetage par rapport à la
condition de persuasion. En effet, lorsque le professeur étiquetait les enfants
comme propres et ordonnés, ils avaient tendance à valider cette dénomination
par leurs actes. Dans le milieu scolaire, la théorie de l’étiquetage prend
généralement forme sous le nom d’effet Pygmalion et stipule que « les
attentes du maître vis-à-vis de la réussite des
élèves se traduisent par des comportements subtils dont l’influence sur les
résultats des enfants est loin d’être négligeable » (Rosenthal et Jacobson, 1968).
La technique du « pied-dans-la-porte »
Une autre technique est celle du « pied-dans-la-porte » qui
consiste à effectuer une première demande simple et peu coûteuse qui a toutes
les chances d’être acceptée et qui débouchera sur une seconde demande plus
complexe. L’acceptation de la première demande engage l’individu, ce qui
augmentera sa probabilité d’accepter la deuxième demande généralement plus coûteuse.
La technique du « pied-dans-la-porte » peut également être classique
ou implicite selon le fait que la demande soit explicite ou non. Un exemple
pour en illustrer l’approche classique est donné par l’étude de Freedman et
Fraser (1966) qui analysent les habitudes alimentaires des ménagères aux
Etats-Unis. Pour ce faire, les chercheurs ont sélectionné un groupe contrôle et
un groupe expérimental. Dans la condition contrôle, ils se sont fait passer
pour des enquêteurs. Ils demandaient aux ménagères si elles pouvaient les
accueillir chez elles afin qu’ils puissent fouiller leurs placards et vérifier
avec précision les produits alimentaires qu’elles consommaient. Dans la
condition expérimentale, la demande était la même, mais les chercheurs
téléphonaient aux ménagères trois jours plus tôt afin de leur poser huit
questions sur leurs habitudes alimentaires. Les résultats de leur étude ont
démontré que seulement 22.8 % des ménagères laissaient entrer les
enquêteurs dans la condition contrôle et que ce chiffre doublait (52.8 %)
dans la condition expérimentale (lorsqu’elles recevaient un coup de téléphone
trois jours plus tôt). Un autre exemple pour illustrer ce phénomène se trouve
dans l’étude de Harris (1972) qui met en évidence que les mendiants qui demandaient
l’heure aux passants avant de récolter des pièces
obtenaient quatre fois plus d’argent que les mendiants qui quémandaient
directement.
Utilisations commerciales
Les mécanismes que l’on retrouve dans les processus d’engagement et les
techniques de manipulation et de stratégie marketing sont des atouts non
négligeables que, dans une société de consommation, les multinationales du
monde entier mettent en œuvre pour influencer le consommateur. Un exemple
simple de « pied-dans-la-porte » dans le domaine de la vente est
celui de l’échantillonnage de produit (cosmétiques, santé…) qui, selon le
vendeur, « n’engage à rien », mais qui, au final, nous entraîne dans
un processus d’acceptation d’une première demande (Joule et Beauvois, 1989). De
très nombreuses d’études se penchent sur les mécanismes utilisés par ces entreprises en quête de consommateurs et d’argent et plus particulièrement sur
les influences inconscientes (cf. Channouf, 2004). Un exemple d’influence
inconsciente est celui mis en évidence par Lehu (2011) où ce chercheur démontre
la présence de publicités dissimulées dans les films via le placement de marque
et de produit dans certaines séquences non publicitaires. Plus
particulièrement, il cite les marques de voitures et de vodka présentes dans James
Bond, les cigarettes spéciales que fume Sylvester Stallone dans ses films
et les quelque 250 entreprises qui étaient prêtes à dépenser des sommes
colossales pour disposer d’une des quatre possibilités de placement dans la
série Desperate Housewifes. De plus, les auteurs démontrent que le
moment du placement est important, car certaines séquences sont plus efficaces
que d’autres. Il en est de même pour la durée d’exposition du placement de la
marque ou du produit.
Dans cette même logique, Courbet et ses collègues (2008) ont démontré
que même si les marques n’étaient pas consciemment observées par le spectateur,
elles étaient néanmoins mémorisées. Pour ce faire, ces chercheurs ont réuni des
sujets autour d’une thématique factice, à savoir l’enseignement à distance, en
leur demandant de lire sur un ordinateur un cours
de leur choix sur lequel ils
seraient ensuite interrogés. Pendant que les sujets lisaient les cours, des
publicités ou des noms de marques factices (Folabe, Caderna,…) apparaissaient
en périphérie, en haut de l’écran, à des cadences différentes (cinq fois ou
quinze fois). Enfin, un « eye-tracker » faisait disparaitre les
publicités chaque fois que les yeux des sujets avaient le réflexe de regarder
vers le haut de l’écran, dans leur direction. Bien évidemment, il était
impossible pour les sujets d’observer les publicités. D'ailleurs, à la fin de
l’expérience, les sujets ne se souvenaient pas des marques ou des produits
présentés en haut de l’écran. Et quand on les leur présentait, ils affirmaient
ne jamais les avoir vues. Cependant… Les résultats de cette étude ont montré
que quelques minutes après l’expérience, les sujets testés avec la présence de
publicités (comparativement au groupe contrôle qui avait lu les textes sur
l’écran sans publicité) avaient des attitudes plus favorables à l’égard de
ces marques, les décrivent plus positivement (meilleure « image de
marque ») et expriment davantage d’intention d’achat. (Courbet et al.,
2008). De fait, même si une marque n’est pas perçue consciemment, elle
pourrait être traitée et mémorisée de manière inconsciente. On peut comprendre
l’importance de ce phénomène et son implication au vu des nombreuses
publicités qui circulent sur internet auxquelles on ne prête que très peu
d’attention. Il en va de même pour les messages subliminaux cachés dans les
films.
En guise de
conclusion, nous pouvons dire que les stratégies de manipulation, qu’elles
soient utilisées volontairement ou non, sont présentes au quotidien. S’informer
sur ces différentes pratiques permet de les détecter plus facilement et de s’en
protéger. A ce sujet, vous retrouverez un panel plus généreux de méthodes
explicitées et illustrées dans un autre de mes articles, sur la page Wikipédia
qui concerne la théorie de l’engagement en psychologie sociale. Pour écrire ces articles, je me suis principalement
inspiré du « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes
gens », de Jean-Léon Beauvois et Robert-Vincent Joule. Cet ouvrage
constitue une excellente introduction vulgarisée de cette théorie et une
présentation rigoureuse, détaillée et illustrée des manipulations que l’on
retrouve dans la vie de tous les jours. Car nous connaissons tous l’adage selon
lequel « un homme averti en vaut deux ! »
Rédigé par Robin Wollast, doctorant au sein du
centre de recherche en psychologie sociale et interculturelle.
Liens supplémentaires:
Si ce sujet vous intéresse, voir aussi ce blog-ci: l'engagement ou la décision prise au piège.
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Si ce sujet vous intéresse, voir aussi ce blog-ci: l'engagement ou la décision prise au piège.
Références
- Channouf, A. (2004). Les influences inconscientes : de l'effet des émotions et des croyances sur le jugement. Armand Colin.
- Courbet, D., Vanhuele, M., & Lavigne, F. (2008). Les effets persuasifs de l’e-publicité perçue « sans conscience » en vision périphérique. Implications pour les recherches sur la réception des medias. Questions de communication, (14), 197-219.
- Freedman, J. L., & Fraser, S. C. (1966). Compliance without pressure: the foot-in-the-door technique. Journal of personality and social psychology, 4(2), 195.
- Harris, M. B. (1972). The effects of performing one altruistic act on the likelihood of performing another. The Journal of Social Psychology, 88(1), 65-73.
- Joule, R. V., & Beauvois, J. L. (1989). Une théorie psychosociale: la théorie de l'engagement. Perspectives commerciales. Recherche et Applications en marketing, 4(1), 79-90.
- Joule, R. V., & Beauvois, J. L. (2012). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (4e ed.)[A short treatise on manipulation for use by honest people]. Grenoble, France : PUG.
- Kiesler, C. A., & Sakumura, J. (1966). A test of a model for commitment.Journal of personality and social psychology, 3(3), 349.
- Lehu, J. M. (2011). La publicité est dans le film : placement de produits et stratégie de marque au cinéma, dans les chansons, dans les jeux vidéo... Editions Eyrolles.
- Miller, R. L., Brickman, P., & Bolen, D. (1975). Attribution versus persuasion as a means for modifying behavior. Journal of personality and social psychology, 31(3), 430.
- Rosenthal, R., & Jacobson, L. (1968). Pygmalion in the Classroom: Teacher Expectation and Pupils' Intellectual Development, by Robert Rosenthal, Lenore Jacobson. Rinehart and Winston.
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