Monday, January 4, 2016

La psychologie sociale à l'assaut des préjugés sur les réfugiés

Carte blanche signée par plusieurs professeurs de psychologie sociale belges et publiée dans le Soir du 22-12-2015. Le titre de la carte blanche provient de la rédaction du journal. 

Par son importance, l’afflux des réfugiés interpelle notre société car il questionne nos modes de cohésion sociale et d’entraide. Comment optimiser un ‘vivre-ensemble’ quand le terrain se montre propice aux malentendus et aux conflits? La situation engendre une foule d’émotions chez nos compatriotes. Ces sentiments sont humains! Mais quels en sont les antécédents et sur quoi débouchent-ils ? Depuis plus de 70 ans, la psychologie sociale étudie la question des relations parfois tumultueuses entre les groupes. Il s'agit de cerner à la fois les facteurs qui alimentent le rejet de l’autre et ceux qui contribuent à une vie sociale plus harmonieuse. Sur base de ces connaissances, quel diagnostic peut-on tirer et quelles voies d’action s’offrent à nous ?

Du désarroi à la déshumanisation
Face au spectacle des réfugiés, le désarroi est souvent de mise. Et pour cause ! Qui supporte de voir des gens désorientés et démunis vivre sur la voie publique dans des conditions déplorables, attendre un temps indu qu’on examine leur dossier, se voir privés de liberté, occuper des logements insalubres? La sympathie, voire la pitié, va-t-elle bénéficier aux réfugiés? Les travaux scientifiques suggèrent l’inverse. Confrontés au sort peu enviable d’autrui, les êtres humains éprouvent le désagréable sentiment de leur impuissance. Pour y échapper, on condamne les victimes. On se dit qu’au fond, elles méritent leur sort. Cette mise à distance nourrit la déshumanisation. Et ce n’est pas la photo tragique d’un enfant échoué sur une plage qui enrayera ce penchant. Une solution évidente est de ne plus infliger aux réfugiés des conditions dramatiques, de leur offrir des places d’accueil décentes, et d'opter pour un traitement humain et rapide des dossiers. L’enfermement est à proscrire car il affecte les personnes autant qu’il alimente le rejet. De manière générale, il faut faciliter l’insertion rapide des réfugiés.
Nos valeurs et nos ressources ! De l’anxiété au rejet 
D’autres sentiments se font jour, à savoir l’anxiété et la peur, voire la colère et le mépris. Ces réactions, bien connues des chercheurs, découlent de l’impression que nos valeurs autant que nos ressources matérielles et financières seront mises à mal. Toutefois, l'appui sur des stéréotypes aussi désobligeants qu’erronés ne peut qu'alimenter les méprises et les peurs. En réalité, les aspirations et les modes de vie des uns et des autres ne sont ni incompatibles ni immuables. Les recherches prouvent les ressorts des sociétés humaines. Certes, des adaptations seront à attendre de part et d’autre mais une dynamique nouvelle est le plus souvent au rendez-vous, gage d’enrichissement intellectuel, culturel, et économique. Sur le plan des ressources, l’idée que les moyens actuels mis au service de notre système de solidarité seront dilapidés par des profiteurs ne résiste pas à l’analyse. Certes, la lutte contre la précarisation des moyens dédiés à la solidarité reste un objectif crucial mais elle ne peut se satisfaire d’une prise de position défensive face à d’éventuels bénéficiaires.
Le contact pour réduire les stéréotypes et les préjugés
La psychologie sociale pointe aussi diverses mesures pour surmonter les préjugés et promouvoir des relations harmonieuses entre des populations d’origines différentes. Le facteur le plus efficace est le contact. D'innombrables études attestent l’efficacité du contact entre les membres de communautés culturelles, ethniques ou religieuses différentes comme levier pour accroître la compréhension réciproque. La quantité et la qualité des contacts ont un impact positif incontestable sur la réduction des préjugés, d’autant plus que les autorités soutiennent la démarche. Des rapports interpersonnels positifs entre individus qui ne se connaissent pas au départ, parfois même indirectement, par l’intermédiaire de proches, ont la propriété de se généraliser à l’ensemble des membres du groupe. Ces contacts bousculent les idées reçues. On y découvre des choses insoupçonnées, et en particulier de nombreuses similitudes. Ce faisant, on ‘humanise’ et on ouvre la porte à un élan d’aide plus massif. Du coup, la politique consistant à regrouper en masse les arrivants dans des casernes ou maisons de repos, si elle a sa logique organisationnelle, n’est pas optimale si l’on entend estomper la méfiance et le rejet. Des données scientifiques éprouvées nous encouragent à bien plus d’audace. Des petits groupes, quelques familles tout au plus, devraient rejoindre des communautés où la diversité est aujourd’hui peu présente et où l’on est susceptible de se mobiliser pour accueillir dignement les nouveaux arrivants. On réaliserait une opération ‘gagnant-gagnant’ qui va bien au-delà de l’érosion des préjugés. Ainsi, un surcroît de population dans certaines zones délaissées a des retombées positives sur les plans scolaires ou économiques.
Face aux stéréotypes, bien des émotions déplaisantes s’emparent de la société d’accueil et conduisent à la méfiance. Des dizaines d’années de recherche ne convaincront sans doute pas les plus réfractaires, mais pour les nombreux autres, qui hésitent et s’interrogent, les données de la psychologie sociale sont informatives et encourageantes. Le soupçon et le repli génèrent plus de problèmes que de solutions. A l’inverse, la confiance et l’ouverture permettent l'enrichissement de la rencontre et l'accès à des solutions nouvelles. 

Assaad Azzi, Université Libre de Bruxelles
Benoît Dardenne, Université de Liège
Stéphanie Demoulin, Université Catholique de Louvain
Rafaelle Dumas, Université Catholique de Louvain
Ginette Herman, Université Catholique de Louvain
Olivier Klein,  Université Libre de Bruxelles
Laurent Licata,  Université Libre de Bruxelles
Vincent Yzerbyt, Université Catholique de Louvain



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