Friday, December 16, 2016

Le Belge incompétent n’est pas moins apprécié que le Français compétent


Je ne sais pas vous, mais moi il m’arrive assez souvent de rencontrer des Français qui dès qu’ils apprennent ma relation avec le plat pays m’assomment de blagues sur les Belges.
« Tu connais celle du Belge qui donne du pain au canard WC ? », me demande mon interlocuteur.
« Oui, oui, je la connais… » dis-je en espérant de le dissuader de continuer sur cette voie-là, mais cela ne l’arrête pas car il y a toujours une nouvelle blague pour illustrer notre incompétence face aux Français. En effet, les Belges sont souvent représentés comme des personnes sympathiques mais infiniment incompétentes. Oui, je l’avoue : ce n’est pas toujours facile d’être belge !


Image tirée de : http://bit.ly/2h8Dmmk

Il n’est pas nouveau pour les psychologues sociaux que les groupes sociaux auxquels nous appartenons nous fournissent une identité sociale et que nous ayons besoin de maintenir une identité sociale positive pour assurer notre bien-être (Tajfel & Turner, 1979). Ainsi, afin d’évaluer notre groupe, nous effectuons une comparaison – dite sociale - avec d’autres groupes (Festinger, 1954), ce qui peut résulter en une comparaison positive ou négative. Dans le cas où la comparaison ne reflète pas une image positive, nous pourrions le quitter, si cela est possible (Tajfel & Turner, 1986) ; par exemple, nous pourrions changer de nationalité. C’est effectivement ce que certains fervents démocrates ont menacé de faire en demandant la nationalité canadienne si Trump gagnait les élections. Néanmoins, d’autres vous diraient de ne pas abandonner si vite le navire, et de choisir une autre option : celle de valoriser d’autres aspects du groupe pour regagner une image sociale positive (Tajfel & Turner, 1986). Par exemple, les Belges pourraient valoriser le savoir-faire dans l’art de la brasserie au lieu de se focaliser sur d’autres aspects où ils n’excellent pas. Ouf, tout d’un coup mon estime de soi reprend du poil de la bête, merci les amis trappistes ! D’autres encore (Leach, Ellemers & Barreto, 2007) vous diraient qu’il n’est pas nécessaire de chercher à exceller dans une compétence afin d’être évalué positivement car celle-ci n’est pas primordiale dans l’évaluation de soi et des groupes ! Wojciszke, Banzinska et Jaorski (1998) – qui faisaient peut-être partie d’un groupe considéré comme étant peu compétent, soutiennent cette idée et ont réalisé un bon nombre d’études qui illustrent que nous sommes plus intéressés par des informations relatives à la chaleur des gens qu’à leur compétence lorsqu’on les évalue. « Ben oui – diraient Fiske, Cuddy et Glick (2007) – c’est logique : pour une raison de survie, nous sommes plus intéressés à savoir si on peut avoir confiance dans nos voisins que de savoir s’ils sont compétents ! ». Aaaaah, donc si on se base sur le stéréotype selon lequel les Belges sont plus sympathiques que les Français, notre honneur est sauf. « Pas si vite ! - répondraient Brambilla, Rusconi, Sacchi et Cherubini (2011) s’ils étaient là – la plupart des études étudiant la chaleur des groupes comprennent des notions de moralité alors qu’il faudrait distinguer ces deux dimensions ! » Cet argument est soutenu aussi par Leach, et al. (2007) qui critiquent le fait qu’un grand nombre d’études voulant évaluer les groupes ont utilisé comme critère de comparaison la compétence et la chaleur alors que la moralité semble jouer un rôle plus important. Toujours selon Leach, et al. (2007), il suffirait de faire partie d’un groupe dit moral, c’est-à-dire un groupe perçu comme sincère, honnête et dans lequel on peut avoir confiance pour pouvoir être évalué positivement. Roccas, Klar et Liviatan (2004) viennent eux aussi soutenir cette proposition à travers une étude qui a démontré que le fait de faire face à des informations concernant le manque de moralité de l’endogroupe crée une expérience psychologique désagréable. Ainsi, les groupes moraux seraient le mieux perçus dans les évaluations intergroupes (Brambilla & Leach, 2014). Certes, il n’est pas facile de déterminer qui est plus moral que l’autre (et ceux qui n’ont jamais pêché jettent la première pierre), mais au moins le Belge peut arrêter de se sentir inférieur aux Français car ce qui compte est probablement une dimension qui manque aux deux groupes ; en effet, ni les Belges ni les Français sont connus pour être des saints.

Alors, vous connaissez celle du Belge qui se perd dans la jungle et…

Simona Lastrego est assistante au sein du centre de psychologie sociale et interculturelle, où elle poursuit un doctorat sur la mémoire collective.

Références

Brambilla, M., & Leach, C.W. (2014). On the importance of bing moral: the distincitve role of morality in social judgment. Social Cognition, 32 (4), 397-408.

Brambilla, M., Rusconi, P., Sacchi, S., & Cherubini, P. (2011). Looking for honesty: The primary role of morality (vs. sociability and competence) in information gathering. Europen Journal of Social Psychology, 41, 135-143.

Festinger, L. (1954). A theory of social comparison processes. Human Relations, 7, 117-140.
Fiske, S. T., Cuddy, A. J. C., & Glick, P. (2007). Universal dimensions of social cogni- tion: Warmth and competence. Trends in Cognitive Sciences, 11, 77-83.
Leach, C. W., Ellemers, N., & Barreto, M. (2007). Group virtue: The importance of morality (vs. competence and socia- bility) in the positive evaluation of in- groups. Journal of Personality and Social Psychology, 93, 234-249.
Roccas, S., Klar, Y. & Liviatan, I. (2004). Exonerating Cognitions, Group Identification, and Personal Values as Predictors of Collective Guilt among Jewish- Israelis. In N. R. Branscombe & B. Doosje (Eds.), Collective Guilt : International Perspectives (pp. 130-147). Cambridge: Cambridge University Press.
Tajfel, H. and Turner, J.C. (1979). An integrative theory of intergroup conflict. In S. Worchel and W. Austin (Eds), The social psychology of intergroup relations (pp. 33-48). Pacific Grove, CA/ Brooks/Cole.

Tajfel, H. and Turner, J.C. (1986). The social identity theory of intergroup behavior. In S. Worchel and W. Austin (Eds), Psychology of intergroup relations (2nd ed., pp. 7-24). Chicago: Nelson-Hall.

Wojciszke, B., Bazinska, R., & Jaworski, M. (1998). On the dominance of moral categoriesin impression formation. Personality and Social Psychology Bulletin, 24, 1251-1263.




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