Je
ne sais pas vous, mais moi il m’arrive assez souvent de rencontrer des Français
qui dès qu’ils apprennent ma relation avec le plat pays m’assomment de blagues
sur les Belges.
« Tu connais celle du
Belge qui donne du pain au canard WC ? », me demande mon
interlocuteur.
« Oui, oui, je la
connais… » dis-je en espérant de le dissuader de continuer sur cette
voie-là, mais cela ne l’arrête pas car il y a toujours une nouvelle blague pour
illustrer notre incompétence face aux Français. En effet, les Belges sont
souvent représentés comme des personnes sympathiques mais infiniment incompétentes.
Oui, je l’avoue : ce n’est pas toujours facile d’être belge !
Image tirée de : http://bit.ly/2h8Dmmk |
Il
n’est pas nouveau pour les psychologues sociaux que les groupes sociaux
auxquels nous appartenons nous fournissent une identité sociale et que nous
ayons besoin de maintenir une identité sociale positive pour assurer notre bien-être
(Tajfel & Turner, 1979). Ainsi, afin d’évaluer notre groupe, nous
effectuons une comparaison – dite sociale - avec d’autres groupes (Festinger,
1954), ce qui peut résulter en une comparaison positive ou négative. Dans le
cas où la comparaison ne reflète pas une image positive, nous pourrions le
quitter, si cela est possible (Tajfel & Turner, 1986) ; par exemple, nous
pourrions changer de nationalité. C’est effectivement ce que certains fervents
démocrates ont menacé de faire en demandant la nationalité canadienne si Trump
gagnait les élections. Néanmoins, d’autres vous diraient de ne pas abandonner
si vite le navire, et de choisir une autre option : celle de valoriser d’autres
aspects du groupe pour regagner une image sociale positive (Tajfel &
Turner, 1986). Par exemple, les Belges pourraient valoriser le savoir-faire
dans l’art de la brasserie au lieu de se focaliser sur d’autres aspects où ils
n’excellent pas. Ouf, tout d’un coup mon estime de soi reprend du poil de la bête,
merci les amis trappistes ! D’autres encore (Leach, Ellemers &
Barreto, 2007) vous diraient qu’il n’est pas nécessaire de chercher à
exceller dans une compétence afin d’être évalué positivement car celle-ci n’est
pas primordiale dans l’évaluation de soi et des groupes ! Wojciszke,
Banzinska et Jaorski (1998) – qui faisaient peut-être partie d’un groupe considéré
comme étant peu compétent, soutiennent cette idée et ont réalisé un bon nombre
d’études qui illustrent que nous sommes plus intéressés par des informations
relatives à la chaleur des gens qu’à leur compétence lorsqu’on les évalue. « Ben
oui – diraient Fiske, Cuddy et Glick (2007) – c’est logique : pour une
raison de survie, nous sommes plus intéressés à savoir si on peut avoir
confiance dans nos voisins que de savoir s’ils sont compétents ! ».
Aaaaah, donc si on se base sur le stéréotype selon lequel les Belges sont plus
sympathiques que les Français, notre honneur est sauf. « Pas si vite ! -
répondraient Brambilla, Rusconi, Sacchi et Cherubini (2011) s’ils étaient là – la
plupart des études étudiant la chaleur des groupes comprennent des notions de
moralité alors qu’il faudrait distinguer ces deux dimensions ! » Cet
argument est soutenu aussi par Leach, et al. (2007) qui critiquent le fait
qu’un grand nombre d’études voulant évaluer les groupes ont utilisé comme critère
de comparaison la compétence et la chaleur alors que la moralité semble jouer
un rôle plus important. Toujours selon Leach, et al. (2007), il suffirait de
faire partie d’un groupe dit moral, c’est-à-dire un groupe perçu comme sincère,
honnête et dans lequel on peut avoir confiance pour pouvoir être évalué positivement.
Roccas, Klar et Liviatan (2004) viennent eux aussi soutenir cette proposition à
travers une étude qui a démontré que le fait de faire face à des informations
concernant le manque de moralité de l’endogroupe crée une expérience
psychologique désagréable. Ainsi, les groupes moraux seraient le mieux perçus
dans les évaluations intergroupes (Brambilla & Leach, 2014). Certes, il n’est
pas facile de déterminer qui est plus moral que l’autre (et ceux qui n’ont
jamais pêché jettent la première pierre), mais au moins le Belge peut arrêter
de se sentir inférieur aux Français car ce qui compte est probablement une
dimension qui manque aux deux groupes ; en effet, ni les Belges ni les
Français sont connus pour être des saints.
Alors, vous connaissez celle
du Belge qui se perd dans la jungle et…
Simona Lastrego est
assistante au sein du centre de psychologie sociale et interculturelle, où elle
poursuit un doctorat sur la mémoire collective.
Références
Brambilla, M., & Leach,
C.W. (2014). On the importance of bing moral: the distincitve role of morality
in social judgment. Social Cognition, 32 (4), 397-408.
Brambilla, M., Rusconi, P.,
Sacchi, S., & Cherubini, P. (2011). Looking for honesty: The primary role
of morality (vs. sociability and competence) in information gathering.
Europen Journal of Social Psychology, 41, 135-143.
Festinger, L. (1954). A theory of
social comparison processes. Human Relations, 7, 117-140.
Fiske, S. T., Cuddy, A. J. C., &
Glick, P. (2007). Universal dimensions of social cogni- tion: Warmth and
competence. Trends in Cognitive Sciences, 11, 77-83.
Leach, C. W., Ellemers, N., &
Barreto, M. (2007). Group virtue: The importance of morality (vs. competence
and socia- bility) in the positive evaluation of in- groups. Journal of
Personality and Social Psychology, 93, 234-249.
Roccas, S., Klar, Y. & Liviatan,
I. (2004). Exonerating Cognitions, Group Identification, and Personal Values as
Predictors of Collective Guilt among Jewish- Israelis. In N. R. Branscombe
& B. Doosje (Eds.), Collective Guilt : International Perspectives
(pp. 130-147). Cambridge: Cambridge University Press.
Tajfel, H. and Turner, J.C. (1979). An
integrative theory of intergroup conflict. In S. Worchel and W. Austin (Eds), The
social psychology of intergroup relations (pp. 33-48). Pacific Grove, CA/
Brooks/Cole. Tajfel, H. and Turner, J.C. (1986). The social identity theory of intergroup behavior. In S. Worchel and W. Austin (Eds), Psychology of intergroup relations (2nd ed., pp. 7-24). Chicago: Nelson-Hall.
Wojciszke, B., Bazinska, R., & Jaworski, M. (1998). On the dominance of moral categoriesin impression formation. Personality and Social Psychology Bulletin, 24, 1251-1263.
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