Pandémie oblige, de nombreux pays du globe ont mis en place des mesures de confinement afin de limiter la propagation d'un certain virus dont on entend beaucoup parler. Nous voici donc tous assignés à domicile avec interdiction formelle de se rassembler et de sortir. Dans une interview donnée à l'Echo ce 18 avril, André Comte-Sponville explique que ce confinement est la plus importante privation de liberté qu'il ait vécue. Il va même jusqu'à affirmer qu'il préfère "attraper le Covid-19 dans un pays libre qu'y échapper dans un état totalitaire". Laissons au philosophe ce qui lui revient et tentons d'expliquer cette affirmation d'un point de vue psychologique.
Un individu possède des croyances relatives à sa liberté. Celles-ci concernent ce qu'il est en droit de faire ou non, dans quelles circonstances et de quelle manière. Si cette liberté semble menacée, l'individu expérimentera ce qu'on appelle la réactance psychologique. C'est un état motivationnel qui le pousse à vouloir restaurer sa liberté en s'engageant, ou tentant de s'engager, dans des comportements pertinents pour ce but. Cet état motivationnel peut être déclenché directement suite à la menace mais peut également résulter d'affects négatifs comme la colère, ou d'attitudes négatives envers la source de la menace, comme le fait de décrédibiliser celle-ci ou de contre-argumenter. Cette réaction est d'autant plus forte que la liberté est importante pour l'individu. Dans certains cas, on peut même observer un "effet boomerang" qui consiste à l'obtention du résultat inverse de ce qui a été imposé. C'est ce qu'on observe ici, en caricaturant un peu (à peine), lorsque les dirigeant disent "Pour rester en vie, restez chez vous" et qu'ils obtiennent comme réponse "Plutôt mourir !".
Pour que cette réaction puisse s'exprimer, il faut également que l'individu se sente capable de restaurer sa liberté. Cette capacité se traduit par le contrôle que l'individu a sur une action et sur le résultat de celle-ci. Afin d'illustrer ce propos, prenons l'exemple des fameuses "Lockdown party". Lorsque Sophie Wilmès, notre première ministre, annonçait la fermeture des bars et l'interdiction de se rassembler, des fêtes clandestines ont été organisées par des adolescents et jeunes adultes. Ces jeunes se sont donc sentis capables de mettre en place des comportements leur permettant de regagner leur liberté et ces comportements se sont manifestés par des rassemblements dédiés à la fête. Mais au-delà des aspects organisationnels et matériels qui étaient à leur portée, rappelons qu'à ce moment de la propagation du virus, une information fortement répandue était que les personnes âgées étaient le plus fortement touchées par la maladie. Il est possible alors que certaines personnes se soient senties protégées, de par leur plus jeune âge, et aient eu le sentiment de contrôler l'issus de ces "lockdown party" : le risque de tomber malade est fortement réduit car nous sommes jeunes et les jeunes ne tombent pas gravement malade. La suite des événements démontrera malheureusement le contraire...
Manifestation anti-confinement aux USA Source |
Il a été démontré que la réactance était souvent réduite lorsque le fait de ne pas se conformer à ce qui est imposé pouvait causer du tort à soi ou aux autres. Or, dans le cas de la lutte contre le Covid-19, le message véhiculé par les experts et les politiques est précisément que sortir est préjudiciable pour la santé de tous : la nôtre et celle des autres. Comment expliquer alors que de telles manifestations aient lieu ? Plusieurs pistes de réponses peuvent être avancées.
Tout d'abord, le nombre de libertés mises à mal est un prédicateur de la force de la réactance. Si le nombre de libertés menacées, présentement ou à l'avenir, est important, la réaction sera plus intense. Si la sécurité sociale belge permet de soutenir financièrement une partie de la population, ce n'est pas le cas partout dans le monde. Aux États-Unis, les personnes contraintes d'arrêter de travailler se retrouvent sans revenu et les répercussions économiques du confinement ont en effet de grandes chances de restreindre bon nombre de libertés individuelles. Une manifestante invoque notamment des droits constitutionnels tels que le fait de se loger et de manger.
D'autres études ont montré que la réactance diminue si la source de la menace est puissante ; en d'autres termes, si elle a la capacité d'appliquer la menace et de mettre en place des sanctions en cas de non-respect des décisions imposées. Or, quand le président laisse les gouverneurs décider des mesures à mettre en place pour finalement les contredire et soutenir les manifestants, il diminue l'autorité des chefs d'état et les manifestations continuent.
On peut également parler de l'importance de la construction de soi dans la manifestation de la réactance. Cette réaction est universelle mais les contextes et conditions dans lesquel•le•s elle se déclenche sont varié•e•s. Les Américains sont plutôt sujet à une construction de soi individualiste ou indépendante. Chaque individu est unique et doit subvenir à ses propres besoins, contrairement aux cultures plutôt collectivistes où les individus sont intégrés dans une communauté aux liens forts et sont interdépendants. Les individus issus de cultures individualistes auront une plus forte réaction de réactance lorsque leurs libertés individuelles sont menacées, en comparaison à une menace qui pèserait sur les libertés collectives. En effet, les manifestants ne réclament pas la fin du confinement dans chaque État ou pour tous les Américains mais uniquement dans leur état, celui où les chiffres montrent que la situation est moins grave que chez leurs voisins. Ainsi, pour eux "tout le monde ne doit pas être logé à la même enseigne".
Enfin, il est intéressant d'évoquer la source de la menace. En effet, cette dernière peut provenir du groupe d'appartenance des individus ou d'un autre groupe. Alors qu'il a été démontré qu'on observait plutôt une complainte à la menace lorsqu'elle émanait de l'endogroupe, on voit à travers les manifestations qu'une menace imposée par l'exogroupe peut entrainer une forte réactance. En effet, on remarque que les manifestations les plus importantes se sont déroulées dans des états gouvernés par des élus démocrates. On pouvait notamment y voir des militants pro-Trump, président républicain, manifester ... visage couvert et armés.
Si la réactance n'est pas la seule explication possible des agissements de milliers d'individus à travers le monde, elle n'en reste pas moins un phénomène intéressant. En outre, elle n'est pas inéluctable. Des travaux ont montré que cette réaction pouvait être prévenue notamment lorsque l'orateur•rice indique aux personnes cibles qu'elles peuvent décider de la meilleure possibilité, ce qui réduit la menace ; ou encore lorsqu'iel est emphatique et/ou induit de l'empathie. De plus, la réactance pouvant également être accompagnée d'émotions positives, elle a pu être utilisée pour déclencher une réaction de motivation permettant de lutter contre la procrastination. Mais ça, on en parlera plus tard...
Mathilde Tellin , Étudiante de Master 1 en Psychologie sociale et interculturelle ; stagiaire au CeScup sous la supervision de monsieur le Professeur Assaad Azzi
Références :
Agence France Presse. (2020, 18 avril). Après l'annonce de Trump, les manifestations anti-confinement se multiplient. Le Soir. Retrieved April 20 2020 from https://www.lesoir.be/295413/article/2020-04-18/apres-lannonce-de-trump-les-manifestations-anti-confinement-se-multiplient-video
Agence France Presse (2020, 21 avril). Coronavirus : des manifestations anti-confinement se multiplient à travers le monde. Le Soir. Retrieved April 22 2020 from https://www.lesoir.be/295413/article/2020-04-18/apres-lannonce-de-trump-les-manifestations-anti-confinement-se-multiplient-video
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Brunfaut, S. (2020, 18 avril). André Comte-Sponville : J'aime mieux attraper le Covid-19 dans un pays libre qu'y échapper dans un État totalitaire. L'Echo. Retrieved April 20 2020 from https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/andre-comte-sponville-j-aime-mieux-%20attraper-le-covid-19-dans-un-pays-libre-qu-y-echapper-dans-un-etat-%20totalitaire/10221597.html?fbclid=IwAR3KoBt_rAhXlQgTb2JJxgO94reQYpq09zT-%2088WrzXHcLKmse9zIWjPVhuE
Miron, A. M. & Brehm, J. W. (2006). Reactance theory - 40 years later. Zeitschrift für Sozialpsychologie, 37, 9-18. doi : 10.1024/0044-3514.37.1.9
Steindl, C., Jonas, E., Sittenhaler, S., Traut-Mattaush, E., & Greenberg, J. (2015). Understandif psychological reactance: new developments and findings. Zeitschrift für Sozialpsychologie, 223(4), 204-214. doi : 10.1027/2151.2604/a000222
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