Saturday, April 11, 2020

L’alphabétisation comme b.a-ba d’une société démocratique

Vous avez réussi à lire et écrire le titre de l’article sans grandes difficultés ? 


Félicitations, vous avez la chance de faire partie des 90% des adultes belges ayant acquis les connaissances et compétences de bases à l’issue de l’enseignement primaire.





Malheureusement, même si nous vivons en Belgique, dans une société qui se veut démocratique, tout le monde ne jouit pas de cette chance. En effet, les études belges francophones recensées depuis les années 80 présentent toujours les mêmes estimations : un.e adulte sur dix éprouve des difficultés à lire et à écrire (Goffinet et Van Damme, 1990). D’un point de vue théorique, ces difficultés font référence à l’analphabétisme ou à l'illettrisme. Bien que similaires dans les pensées de tout un chacun, ces deux notions se différencient sur un point. Si l’analphabétisme relève d’un manque, voire de l’absence, d’un apprentissage de la lecture et de l’écriture, l'illettrisme, lui, se réfère aux difficultés éprouvées bien qu’un apprentissage ait été prescrit à l’individu lors de sa scolarisation.

Ceci dit, même si une personne sait lire et écrire, encore faut-il qu’elle puisse comprendre, traiter et interpréter les informations reçues. Ces différentes capacités cognitives sont englobées par le terme littératie. Plus précisément, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (2000), ce dernier désigne : “l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités.”. L’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (2006) précise cette définition en ajoutant que la littératie permet aux individus de “participer pleinement à la vie de leur communauté et de la société tout entière”.

Définie comme telle, la littératie semble donc constituer une arme considérable et non-négligeable pour le maintien et le bon fonctionnement d’une démocratie. En effet, un des fondements clefs d’une société démocratique est la citoyenneté. Mais… pour devenir un.e citoyen.ne et parvenir à remplir les fonctions que ce statut implique, il ne suffit pas simplement d’avoir eu de bonnes notes aux “savoirs écrire” et aux “compréhensions à la lecture” lors de l’enseignement primaire. Il faut, selon José Morais (2017), atteindre un certain niveau de littératie. En effet, selon cet auteur, il convient de distinguer différents types ou niveaux de littératie qui, eux-mêmes, se différencient en fonction des capacités cognitives utilisées par un individu dans le traitement de l’information lue et écrite. Le premier niveau correspond au lettré productif. A ce stade, l’individu parvient, de manière automatique et inconsciente, à utiliser et comprendre des mots, isolés ou dans un texte. A priori, un enfant devient lettré productif confirmé peu avant l’entrée en secondaire. Cependant, pour être capable de donner du sens, argumenter, évaluer et critiquer ce qu’il lit ou écrit, ce dernier devrait atteindre le Niveau 2. Il serait alors considéré comme lettré évaluatif et transformatif (ou argumentatif). Comme l’explique Morais (2017), ce n’est seulement qu’en atteignant un tel niveau que le.la citoyen.ne peut se définir comme tel.le et ainsi, devenir un.e participant.e actif.ve dans une société démocratique. Le dernier niveau mais non des moindres se réfère au lettré créatif qui permet à l’individu, devenu adulte, d’utiliser ces capacités cognitives de littératie pour créer des connaissances nouvelles et pertinentes. Ce stade ci ne fait cependant l'apanage que d’une minorité de la population, celle des chercheur.e.s scientifiques, par exemple.


Pour progresser au sein de cette hiérarchie de niveaux dont fait l’objet la littératie, il est donc nécessaire et même indispensable que l’individu reçoive, entre autres, une éducation formelle dispensée par le système scolaire, débouchant sur une certification au terme de chaque cycle d’apprentissage. A l’âge adulte, il.elle continue à entretenir cette éducation en lisant des journaux, des livres, en s’informant sur l’actualité ou encore, en participant à des débats informels avec son entourage. 

Grâce à cette combinaison d’éducation formelle et permanente, l’individu peut, a priori, prendre part aux débats publics, participer au processus politique en votant, comprendre quels sont ses devoirs et faire respecter ses droits. C’est ainsi aussi, qu’il peut se permettre de faire valoir son statut de citoyen et, de ce fait, le rendre légitime aux yeux de la population et de ceux qui la gouvernent. Dès lors, il est important de garantir à tou.te.s les citoyen.ne.s la possibilité de pouvoir suivre un apprentissage de qualité et ce, jusqu’à l’âge adulte, pour assurer à tou.te.s une société la plus démocratique possible. Parce qu’une société démocratique ne peut en devenir qu’une qu’en encourageant les conditions nécessaires qui permettent aux individus d’êtres libres d’y agir de manière critique et pertinente. Et, cette liberté passe par la connaissance, laquelle est, en partie, produite par la littératie (Morais, 2018). 

Pourtant, si l’on se rappelle les chiffres cités précédemment, il est évident que la Belgique a encore des progrès à faire en matière d’accès à l’enseignement et de son maintien. En effet, selon une étude plus récente réalisée par la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2012, il existerait encore 400.000 adultes qui présentent des difficultés de lecture et d’écriture en Belgique francophone. Comment prétendre à une souveraineté populaire si près de 10 % de la population n’a pas toutes les cartes en main pour parvenir à se sentir libre d’agir socialement, culturellement, politiquement et économiquement dans la société dans laquelle elle vit ? (Lire et Écrire, s.d.). 

L’alphabétisation et de manière plus générale, la littératie, permet donc à un individu d’avoir les clefs pour agir de manière active, consciente et éventuellement engagée et ainsi devenir un véritable citoyen. Dès lors, laisser des enfants sortir de l’enseignement sans savoir lire ni écrire, c’est prendre le risque de fragiliser la structure démocratique que l’on tente de construire dans notre pays (MacDonald, 2016).




Melissa Laurent, étudiante en Master 2 en Psychologie Sociale et Interculturelle à

l'Université Libre de Bruxelles, actuellement en stage de recherche au CeSCup,
sous tutorat d’Olivier Klein, Régine Kolinsky et Camila Arnal – 6 avril 2020.



Bibliographie


Goffinet, S-A., Van Damme, D.(1990). L’analphabétisme fonctionnel en Belgique. Fondation Roi Baudouin et Institut de l’Unesco pour l’Education.

Morais, J. (2017). Literacy and democracy, Language, Cognition and Neuroscience , 33:3, 351-372, DOI: 10.1080/23273798.2017.1305116 .


Morais, J. (2018). Démocratie et littératie: ce qu’elles sont, et ce qui les lie. Le journal de Culture & Démocratie, n° 46, p. 17-19.

Organisation de coopération et de développement économiques. (2000). La littératie à l’ère de l’information: rapport final de l’Enquête internationale sur la littératie des adultes, 211p.

UNESCO. 2006, Education for All: Literacy for Life, Paris, UNESCO.

https://www.lire-et-ecrire.be/Qu-est-ce-que-l-alphabetisation
https://www.newberryobserver.com/opinion/columns/5869/connection-between-literacy-and-democracy-is-real






















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